Depuis 2021, trois composantes de l’Institut Carnot AgriFood Transition (le Liris, Pôle Cristal et Innôzh) étudient les circuits courts dans le cadre du projet Carac’terre. L’objectif est de comprendre les enjeux économiques, sociaux, environnementaux et de sécurité des aliments de cette activité pour des producteurs agricoles qui travaillent sur le territoire de Dinan Agglomération, partenaire du projet.
2020. Le monde entier vit les conséquences de l’épidémie du COVID-19. La France est à l’arrêt lors de deux confinements au printemps et à l’automne. Chacun expérimente les limites d’un système économique mondialisé. C’est dans ce contexte que va naître le projet d’étude des circuits courts Carac’terre, porté d’abord par le Pôle Cristal, rapidement rejoint par le Liris pour le volet économique et social et par Innôzh pour la question de la sécurité des aliments.
Maher Eddé, ingénieur commercial au centre technique dinannais se souvient : « Nous étions tous à imaginer le monde post Covid à cette époque. Pour nous, spécialistes des questions frigorifiques, cela consistait notamment à imaginer la place de la chaine du froid dans les futurs canaux de distribution alimentaire. C’est naturellement que le marché des circuits courts s’est imposé et que nous avons décidé d’y consacrer une étude. »
Les chercheurs décident de travailler sur la question d’un circuit de commercialisation dans lequel interviendra au maximum un intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Si la notion géographique n’est, dans une définition stricte du circuit court, pas un élément à retenir, le projet Carac’terre a lui bien l’intention de travailler sur une zone géographique limitée : celle de Dinan Agglomération. D’ailleurs, rapidement, les trois composantes d’AgriFood Transition sont rejointes par la collectivité qui constate des convergences avec les actions qu’elle mène dans le cadre de son Projet Alimentaire Territorial (PAT) débuté en 2017. Julie Beaucé, chargée de mission alimentation, explique : « Nous leur avons transmis notre connaissance du territoire, avec notamment une cartographie des producteurs, et donc la possibilité d’identifier les acteurs intéressants à interroger dans le cadre de l’étude. De notre côté, nous avons bénéficié de la bibliographique que le Liris a compilé au début du projet ».
Disposer d’un modèle de référence
L’étude débute ainsi en 2021, lorsque l’Institut Carnot Agrifood Transition la sélectionne parmi ses projets de ressourcement. La première phase fut la plus conséquente. « Le Liris a conduit près de 40 entretiens avec des agriculteurs qui participent à la filière courte, explique Thomas Dufour, ingénieur R&D au Pôle Cristal. Nos collègues du Liris, chercheurs en sciences sociales, ont recueilli les différents modes de fonctionnement des producteurs afin d’en déduire un modèle qui pourra ensuite servir de référentiel pour établir la meilleure organisation possible. »
Les critères d’évaluation de ces organisations ont été de plusieurs niveaux. L’aspect économique, écologique ou encore la sécurité des aliments sont des paramètres qui ont été pris en compte, mais les chercheurs se sont également penchés sur la perception que les producteurs ont de leur propre activité. « Il est intéressant de constater que beaucoup d’entre eux sont fiers de leur activité en circuit court. Ils se satisfont de participer à un système qu’ils estiment plus vertueux à bien des égards, quitte à y consacrer beaucoup d’énergie et de temps pour, finalement, une maigre rémunération. » Mais cette situation conduit à un épuisement rapide des bonnes volontés et nuit à la pérennisation de la filière.
Un besoin avéré de structuration
L’un des points saillants qui ressort de l’étude est que beaucoup des producteurs se trouvent vite confrontés à de nombreux obstacles. La vente en circuit court implique de construire ses propres réseaux de distribution et de travailler sa communication, or tous les producteurs ne disposent pas nécessairement de ces compétences.
De même, l’aspect purement financier est parfois laissé de côté. « A titre d’exemple, je peux citer ce producteur qui n’hésite pas à parcourir 50 km pour livrer l’équivalant de 200 € de production, sans se préoccuper du coût du trajet et du temps perdu. Les coûts logistiques sont rarement pris en compte », indique Thomas Dufour.
Et Julie Beaucé de renchérir : « Les producteurs sont nombreux à déterminer leurs prix de vente en fonction des prix pratiqués par les autres acteurs, sans vérifier leur propre rentabilité. » Cette façon de faire pénalise rapidement les producteurs. C’est la raison pour laquelle la chargée de mission souhaite une prise de conscience des coûts “cachés” de la logistique qui incitera les producteurs à questionner leur organisation et imaginer de nouvelles formes de distribution et de commercialisation. Leurs stratégies, actuellement plutôt individuelles, pourraient alors être mutualisées sur le territoire de Dinan Agglomération.
Maher Eddé abonde : « Ces acteurs ont besoin de formation et de structuration. S’ils parviennent à se fédérer pour proposer une offre plus diversifiée aux consommateurs, alors ils pourront se développer, même dans le contexte actuel où le choix des consommateurs semble surtout guidé par le prix. Une certaine mutualisation, notamment pour la livraison, la distribution, est une première piste. Pour cela, il faut d’abord que les membres de cette filière se connaissent et se rencontrent. Et c’est là que la place de Dinan Agglomération dans le projet prend tout son sens.»
La transition vers une croissance de ces circuits de production et de diffusion plus courts nécessitera encore beaucoup d’énergie et d’intelligence collective, mais une chose est certaine, les bonnes volontés sont présentes.
Et les équipes de recherche pourront continuer d’apporter leur expertise sur ces enjeux de société.
Crédit photo : Thibaut DERIEN – Sabrina Piedevache, productrice à l’Envie des champs à Evran.